La destinée d’Antoine Graff n’est pas pliée d’avance. Certes, né d’un père artiste peintre et petit-fils d’un fondeur, la fusion des arts devait inévitablement s’opérer en lui. Et que dire de ce patronyme qui sonne comme un aka ! Mais sa carrière s’est écrite quelque peu différemment, entre coloriage, baroudage et pliage.
Le petit Antoine commence à peindre à 8 ans. A 14 ans, il obtient sa première commande ! En 1954, il quitte son Alsace natale et rejoint les Beaux-Arts de Paris… mais pour mieux y poursuivre l’école buissonnière. Son intuition l’incite à fréquenter les ateliers de Zadkine et de Lhote. Le sculpteur Zadkine aime les pieds des statues de Graff. Le peindre Lhote le considère comme un grand dessinateur… Graff adoubé par deux maîtres – et non des moindres ! Une énième pitrerie, sans doute.
A 26 ans, il vit de ses créations, porté par ses deux galeristes. Cependant, il entre en guerre de feu contre lui-même, ne se définissant plus que comme un « habile ».
Il créé donc son entreprise de vitrines de prestige pour les pharmacies et obtient un succès à faire pâlir de jalousie les businessmen les plus chevronnés. Mais Antoine Graff ne peut se contenter de vitriner. Il se lance dans l’imprimerie publicitaire. Bientôt, son savoir-faire attire les artistes. Son entreprise dévie progressivement de l’imprimerie à l’édition d’art. Ultime coup de maître, il s’offre le luxe de créer la galerie « La Main bleue » à Strasbourg en 1974, où il expose Alechinsky, Bram van Velde et Télémaque.
Un matin, il a enfin sa vision révélatrice. C’est celle du papier enveloppant la motte de beurre qui se déploie en plis exubérants, palpitants et poétiques. Mais il lui faut encore chercher pendant cinq années, ce qu’il peut bien tirer de cette vision. Car Antoine veut revenir à la source, ne pas être « habile » mais simplement fabriquer.
Froisser et défroisser. Le pli est son joujou, qu’il agace, qu’il agite, qu’il secoue. Symbole possible d’un subconscient qui exprime son besoin de se réfugier dans les fentes protectrices. Dans son oeuvre, ce plissement est surpuissant. Celui-là même à l’origine de la formation de plusieurs massifs européens dont ceux d’Allemagne et des Vosges.
Antoine Graff aime à parler du hasard du pli, du moment imminent où la chaîne se met en place. Sa philosophie, s’il en est, est abyssale et sa pratique – artisanale – réfute l’éloquence plastique et picturale. Non, il n’y a pas d’engagement pas de figuratif, pas d’abstrait.
Sa devise est simple, si simple : « La présence du papier froissé, c’est tout. »